Cour d'appel de Paris, Pôle 5 - chambre 5, 7 janvier 2021, n° 18/17376
Pratique restrictive de concurrence et déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties : une convention de preuve stipulant que seul le système d’information du fournisseur fait foi entre les parties déclarée inopposable.
Une société de vente à distance avait conclu avec La Poste plusieurs contrats, incluant des conditions générales de vente, pour la distribution de colis à ses clients. Suite à des retards, elle a assigné La Poste devant le tribunal de commerce de Paris notamment pour le non-respect des délais garantis. Débouté de ses demandes, elle a interjetée appel.
L’appelante soutenait que des clauses relatives à la preuve créaient un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties et devaient lui être déclarées inopposables. La demande était fondée sur l’article L.442-6, I, 2° du Code de commerce (désormais L.442-1,I,2° du même code), qui dispose qu’« engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait (…) de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties"
La Cour d’appel rappelle d’abord que « l’existence d’un contrat d’adhésion ne suffit pas à caractériser la preuve de l’absence de pouvoir réel de négociation » et a considéré que la soumission ou la tentative de soumission se déduit de la démonstration de « l’absence de négociation effective, ou de l’usage de menaces ou de mesures de rétorsion visant à forcer l’acceptation impliquant cette absence de négociation effective ».
L’impossibilité effective de négociation s’infère de :
- « clauses [] quasiment identiques dans tous les contrats conclus par la société cliente et se retrouvent dans l’ensemble des contrats souscrits par des entreprises avec La Poste » ;
- « la puissance de La Poste dans le secteur de l’acheminement des colis ».
La Cour rappelle ensuite qu’en cas d’existence d’obligations créant un déséquilibre significatif, « la preuve doit être apportée par la partie qui s’en prétend victime ». Ce déséquilibre peut se déduire « d’une absence totale de réciprocité ou de contrepartie à une obligation, ou encore d’une disproportion importante entre les obligations respectives des parties ». La Cour précise que « les clauses sont appréciées dans leur contexte, au regard de l’économie de la relation contractuelle ».
En l’espèce, les clauses litigieuses stipulaient que « les différentes informations fournies par le système d’information de La Poste issues des flashages des colis, par La Poste, lors des différentes étapes d’acheminement […] font foi entre les Parties pour déterminer l’occurrence ou non d’un retard ».
La Cour d’appel relève que le « système d’information de La Poste prévaut sur tout autre élément de preuve […] » alors même qu’en dépend « […] la mise en jeu de sa responsabilité contractuelle […] ». Ces clauses « font dépendre le point de départ du délai d’acheminement d’un colis exclusivement de son enregistrement dans le système d’information de La Poste alors même que La Poste s’engage au respect de délais d’acheminement minimum ». La Cour d’appel juge que si « un tel système probatoire était admis, il en résulterait que celui sur lequel pèsent les obligations de résultat de ponctualité et de délivrance des colis contrôlerait seul le respect de ses propres obligations ».
La Cour conclut que ces clauses « créent un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties sans que la société La Poste ne rapporte la preuve de la compensation de ce déséquilibre par d’autres clauses du contrat ». La Cour relève à cet égard que « le traitement à grande échelle de la distribution de colis et la maîtrise des coûts induits par un tel type de traitement ne peut justifier que le système d’information permettant un tel traitement puisse être seul retenu à titre de preuve ».
La Cour d’appel déclare en conséquence les clauses litigieuses inopposables à la société cliente.